Le printemps est là, les narcisses et les jacinthes éclosent progressivement dans mon jardin. Depuis quelques jours, les rayons du soleil réchauffent l’atmosphère et déjà viennent butiner les premiers insectes pollinisateurs. Parmi ces insectes à la valeur inestimable pour nos jardins, nos vergers et nos cultures, les abeilles sauvages, également appelées abeilles solitaires, occupent la place. S’il en existe plus de 1000 espèces recensées en France, certaines sont plus reconnaissables que d’autres. À savoir l’osmie cornue (Osmia cornuta), très présente, donc bien visible. C’est d’ailleurs l’une des premières abeilles sauvages à sortir de sa cache hivernale. Que les esprits chagrins se rassurent, bien que l’osmie soit une abeille, elle n’a pas de dard et ne pique pas. D’ailleurs, elle se désintéresse totalement de nous, trop affairée qu’elle est à faire sa vie. Et sa vie est plutôt courte.
Si vous avez installé un hôtel à insectes au milieu de vos massifs ou arbres fruitiers, il y a de fortes chances que cette espèce d’abeille sauvage y ait élu domicile. Et le mois de mars est la période idéale pour observer tout ce petit monde ailé et bourdonnant qui s’affaire à émerger de son nid douillet, s’accoupler et pondre. Avec quelques haltes sur les fleurs déjà chargées de pollen et de nectar pour se nourrir et assurer leur descendance.
Qui est donc l’osmie, cette abeille sauvage maçonne ?
Celle qu’on appelle populairement l’abeille maçonne (on verra pourquoi un peu plus tard) ou abeille rousse est l’osmie cornue, de son petit nom latin Osmia cornuta. Pour ceux qui veulent des précisions entomologiques, il s’agit d’un hyménoptère de la famille des Mégachilidés. Comme son nom le laisse deviner, l’osmie cornue a des cornes ! Enfin, le terme « cornes » est peut-être un grand mot…Toujours est-il que la femelle osmie arbore ces protubérances sur le front (le clypeus).
Restons avec nos femelles osmies qui se reconnaissent facilement à leur tête et leur thorax noirs, alors que l’abdomen et la brosse située sous le ventre et qui sert à récolter le pollen sont de couleur rouille. Longue de 10 à 14 mm, cette femelle possède également des mandibules relativement puissantes.
L’osmie mâle est légèrement plus petit. Il se distingue surtout par le toupet blanc qu’il porte sur le front et de part et d’autre de ses mandibules. À la différence des femelles, les mâles ne sont pas dotés de brosses ventrales. C’est assez logique dans le sens où ils se nourrissent mais n’ont pas pour prétention de nourrir leur descendance. Ils naissent juste pour assurer la pérennité de l’espèce ! Et leur vie ne dure que 12 petits jours. Ce sont d’ailleurs les premiers à émerger des loges construites par les femelles.
En mars se joue toute la vie des osmies
Si vous avez installé un abri à insectes doté d’anfractuosités cylindriques d’environ 10 mm de diamètre, il y a de fortes chances que ça bouge en mars ! C’est le cas dans le mien depuis environ le 10 mars. Alors que se passe-t-il ? Quel est donc ce ballet bourdonnant de dizaines d’osmies qui tournent autour de mon abri, positionné à l’abri de la pluie et doté de plusieurs tiges de bambous posées à l’horizontale ? Un abri qui a l’air de plaire à ces abeilles tant l’activité est intense ! C’est vrai qu’au vu du nombre d’individus qui s’y pressent, notre abeille solitaire ne l’est plus vraiment…En effet, pour rappel, l’abeille solitaire ne vit pas en colonies comme sa cousine, l’abeille domestique.
Quelle est donc cette effervescence ? Dès le mi-mars, les mâles osmies sortent des loges construites par leur mère. Ce sont les premiers qui sortent tout simplement car ce sont les plus près de la sortie. En effet, les femelles osmies ont l’exceptionnelle capacité de sexer leurs œufs. C’est pourquoi elles finissent toujours leur galerie par un œuf porteur d’un mâle qui n’a qu’une fonction de reproducteur.
Une fois sortis de leur loge, les mâles attendent (impatiemment) la sortie des femelles. Et comme, ils n’ont pas grand-chose à faire, ils tournent autour de l’hôtel à insectes. Et parfois, c’est la foire d’empoigne. Autant dire que, dès que les premières femelles pointent le bout des mandibules, elles sont férocement courtisées. À peine éveillées, elles doivent subir les assauts des mâles qui n’ont qu’une dizaine de jours devant eux. Et ces mâles, une fois leur devoir accompli, s’en vont mourir sur la dalle de la terrasse.
Pour les femelles commence une vie laborieuse, entièrement consacrée à leur progéniture (qu’elles ne verront jamais).
Les femelles osmies, d’infatigables maçonnes
Fécondée, Madame Osmie va désormais consacrer sa courte vie au ménage et à la ponte. Pour commencer, elle se met en quête d’anfractuosités horizontales (peut-être dans l’hôtel à insectes où elle est née) qu’elle va commencer à nettoyer et à vider des débris de terre et de pupes (étapes entre la larve et l’adulte). Une fois le ménage fait et le cylindre propre, elle s’envole pour récolter la nourriture de ses futurs « bébés ».
Dans mon jardin (et ceux de mes voisins), elle va butiner à qui mieux mieux pour absorber du nectar et récolter du pollen à l’aide de ses poils ventraux. C’est pourquoi, pour la survie de ce petit monde ailé, il est essentiel de leur offrir des fleurs mellifères et nectarifères. Tout en récoltant nectar et pollen, nos petites abeilles participent à la pollinisation des plantes et des arbres fruitiers. Ensuite retour à la maison ! Tête la première, elle entre dans son cylindre pour régurgiter le nectar, puis, demi-tour à l’extérieur pour s’engager en arrière afin de déposer le pollen. En multipliant les voyages, elle constitue ainsi une boulette qui sera le garde-manger des larves. Ce travail accompli, elle pond un œuf et referme la cavité. Au cours de ses différentes phases de développement, la larve s’alimentera de cette boulette, spécialement conçue par sa « maman ».
La femelle remplit ainsi son cylindre de plusieurs loges, qui contiennent toutes un pain de pollen et un œuf.
Pour ajouter de la difficulté à ce dur labeur, les femelles osmies doivent aussi batailler contre les diptères ou les chrysides, des guêpes parasites, qui pondraient bien dans les loges bien propres. Leurs larves se nourrissant des larves d’osmies. Lorsqu’elles reviennent de leur quête de pollen et de nectar, les femelles expulsent manu militari les intruses.
Quand le cylindre est plein, la femelle l’obture avec de la glaise dont elle fait un emplâtre avec ses mandibules.
Dès lors, elle peut mourir tranquille…
Et après, la vie s’organise dans le nichoir
Quelques jours après la ponte, les œufs éclosent et donnent naissance à des larves. Se nourrissant des réserves de nourriture, elles passent par plusieurs phases de mue, en général entre quatre ou cinq. Ensuite, les larves tissent leur cocon de soie et se nymphosent. Pendant la période hivernale, leur développement cesse pour reprendre aux premiers jours du printemps. On dit qu’elles entrent en diapause, l’équivalent de l’hibernation.
Et le cycle recommence avec la sortie des mâles puis des femelles…
Par rapport à d’autres insectes, les osmies cornues ne craignent pas le froid relatif. Elles volent alors que les températures atteignent 12 à 14 °C, soit dès février dans le sud de la France. Les observer est un enchantement et une source d’émerveillement.
De l’utilité des hôtels à insectes et autres abris
Comme de nombreuses autres abeilles, l’osmie cornue, ou encore sa cousine l’osmie rousse (Osmia rufa), subit de plein fouet les ravages des pesticides et autres produits insecticides, herbicides, fongicides…sans oublier la destruction des haies. En effet, l’osmie cornue s’installe spontanément dans les tiges creuses d’herbacées, dans les tiges à moelle d’arbustes comme le sureau.
De même, elles ont une prédilection pour les fleurs d’aubépine et d’églantier, mais aussi des arbres fruitiers (pommier, prunier, cerisier…) ou le trèfle.